Ce pli de sombre dentelle,
qui retient l’infini…

« Au gré, selon la disposition, plénitude, hâte.
Ton acte toujours s’applique à du papier ; car méditer, sans traces, devient évanescent, ni que s’exalte l’instinct en quelque geste véhément et perdu que tu cherchas.
Ecrire –
L’encrier, cristal comme une conscience, avec sa goutte, au fond, de ténèbres relative à ce que quelque chose soit : puis, écarte la lampe.
Tu remarqueras, on n’écrit pas, lumineusement, sur champ obscur, l’alphabet des astres, seul, ainsi s’indique, ébauché ou interrompu ; l’homme poursuit noir sur blanc.
Ce pli de sombre dentelle, qui retient l’infini, tissé par mille, chacun selon le fil ou prolongement ignoré son secret, assemble des entrelacs distants où dort un luxe à inventorier, stryge, nœud, feuillages et présenter.
Avec le rien de mystère, indispensable, qui demeure, exprimé, quelque peu. »

Stéphane Mallarmé, « L’action restreinte », Divagations

Un parcours comme un paysage, dans l’œuvre d’Anne-Marie Pécheur.

Un parcours fait de méandres et d’entrelacs, de lacets, lacis et arabesques qui offre au regard, à la vision, à la perception toutes les nuances et formes d’une immense interrogation sur le visible, suivant un chemin qui semble ne mener nulle part comme ces Holzwege heideggériens, mais par lesquels tout l’ordre (et le désordre) du monde apparaît (dans lesquels, se trouve, d’une certaine manière, « l’origine de l’œuvre d’art »). Et si nous sommes, en parcourant l’œuvre, dans une sorte de paysage, c’est qu’ici, dans ces tableaux, ces lumières, ces dentelles, « la Nature a lieu ». Elle a lieu dans ces formes végétales qu’AMP s’est employée à inventorier dans sa peinture (légumes, fleurs, fruits), elle a lieu dans la couleur sans cesse renouvelée, expérimentée, éclatée, elle a lieu dans ces liens entre un mot et une chose, dans ces jeux de mots qui parcourent l’œuvre, qui font passer d’un espace à un autre, d’une toile à une autre. Inventorier la richesse infinie du monde des plantes et de la couleur et de la lumière et de la peinture en une syntaxe que l’œuvre invente ainsi tant les liens entre la peinture et l’écriture sont serrés.

Il y a une manière d’écriture dans le travail de peinture d’AMP, un acte, un geste qui « s’applique à du papier », qui s’applique, en effet, sur du papier, de la toile, les parois d’un mur, du bois, du plexiglas, qui s’applique à la surface pour la creuser, qui s’applique comme un élève en classe. Un geste qui place, qui pose et qui étend, et un geste, tout autant probablement, qui s’adonne, s’attelle, se consacre, voire s’acharne. Un geste de peintre.

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Sally Bonn. Catalogue 2006. Rodez.
www.sallybonn.com